Ambassadeur de la RDC à Londres, Ndolamb Ngokwey : « Un vent nouveau souffle dans nos relations avec le Royaume-Uni »
Dans une interview à Forum des As, le nouvel Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la RDC au Royaume-Uni, le Pr Ndolamb Ngokwey livre ses impressions, parle des problèmes de la diaspora congolaise, de l’importance de son poste diplomatique, ses priorités sans oublier les perspectives d’avenir. Analysant les éléments en présence, ce diplomate de haut rang note qu’il y a effectivement un vent nouveau qui est en train de souffler dans nos relations avec le Royaume-Uni, à la grande satisfaction de deux peuples. Lire, ci-dessous, l’intégralité de l’Interview de l’Ambassadeur Ndolamb à Forum des As.
Quel regard portez-vous sur vos trois premiers mois comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la RDC à Londres ?
N.N. Une période très intense faite de nombreuses activités, notamment les contacts avec les autorités politiques ( vice-premier ministre, ministre des affaires étrangères, envoyé spécial du Roi, envoyé spécial du premier ministre, Association parlementaire britannique pour la RDC). J’ai aussi rencontré le milieu des affaires car il y a un intérêt grandissant au Royaume Uni pour investir en RDC dans des secteurs qui sont prioritaires pour notre pays. J’ai eu des contacts avec le milieu de la recherche scientifique. J’ai eu des réunions avec le Congo Research Network, un réseau de chercheurs spécialisés sur la RDC dont le Siège est à Londres mais qui couvre le monde entier. Last but not least, je dois souligner mes rencontres avec la communauté congolaise qui est très nombreuse et variée. J’ai rencontré la plupart des leaders des confessions religieuses ( les catholiques, les églises de réveil, les kimbanguistes, et les Anglicans). Il y a un jeune bishop congolais de l’église anglicane à Londres, Mgr Lusa Ngoy . J’ai rencontré des congolais qui sont dans l’enseignement universitaire ou secondaire ici. Et aussi des hommes et femmes d’affaires britanniques d’origine congolaise.
Vous n’avez pas mentionné le Roi.
Non, je n’ai pas mentionné le Roi ; je n’ai pas encore rencontré Sa Majesté Charles. En fait, je suis arrivé une semaine après son couronnement. Depuis mon arrivée en Mai, aucune présentation des lettres de créance n’a pu se faire. La prochaine cérémonie aura lieu en Octobre. Et le protocole royal m’a déjà confirmé que je ferai partie de ce premier groupe.
Comment se fait-il alors que vous meniez des activités diplomatiques sans avoir encore présenté vos lettres de créance ?
( sourire). Contrairement à d’autres pays, au Royaume Uni, une fois que l’Ambassadeur désigné présente les copies figurées de ses lettres aux Affaires Étrangères, il peut déjà travailler. C’est officiellement écrit et cela m’a été répété clairement lors de la présentation de mes copies figurées.
Quelles sont vos premières impressions ?
Je dois d’abord rappeler que Londres est une des plaques tournantes majeures du commerce international et de la finance internationale ; le Royaume Uni est un leader dans la technologie, dans l’agroalimentaire, dans l’enseignement universitaire et technique. Donc ce qui se passe à Londres est important pour la RDC et pour le reste du monde.
En deuxième lieu, j’aimerais souligner que le Royaume-Uni et la RDC partagent une très longue histoire commune. Vous connaissez bien entendu la contribution de Livingstone et de Stanley. Stanley qui déjà à l’époque avait eu l’intuition géniale de la nécessité du transport ferroviaire au Congo. Il y a aussi le pasteur William Hughes de Colwyn Bay et ses Congo Boys . Sans oublier le rôle de l’Association pour la Réforme du Congo, un groupe activiste et humanitaire britannique, dans la campagne mondiale de dénonciation contre les exactions au Congo sous Léopold II. L’année prochaine, ce sera le 120 eme anniversaire de la création de cette association. Sur le plan industriel, souvenez-vous des Huileries du Congo-Belge, des Plantations Lever au Congo, du fameux savon Sunlight, etc.
Face à ce background et tenant compte des évolutions récentes, mes premières impressions sont que les défis sont énormes, mais que les opportunités le sont aussi. A titre d’illustration, les niveaux du commerce, des investissements et même de l’aide publique au développement ne sont pas à la hauteur de ce qu’ils pourraient ou devraient être. Mais les récentes visites de Son Excellence Mr le Président Tshisekedi, la persistence diplomatique de Son Excellence Mr le VPM Lutundula et le travail de terrain de mes prédécesseurs, en particulier de la plus récente, Mme Ndjeka, commencent à porter des fruits. Grâce à tous ces efforts, je sens qu’il y a un vent nouveau qui souffle dans nos relations avec le Royaume-Uni aussi bien sur le plan politique, diplomatique qu’économique.
C’est cela que vous appelez le nouvel élan ?
Oui. Nos partenaires britanniques réalisent que nous pouvons faire mieux et plus ensemble. Quand vous lisez les stratégies décennales du Royaume-Uni sur la coopération au développement, sur les minerais stratégiques, sur l’agriculture, vous vous demandez si cela est écrit pour la République Démocratique du Congo. C’est à nous de saisir cette opportunité gagnant gagnant pour impulser cette nouvelle dynamique dans la coopération entre nos deux États et peuples. C’est cela le nouvel élan.
Par exemple, en matière des minerais critiques, la stratégie du Royaume-Uni dénommée La Résilience pour l’Avenir vise notamment à améliorer les chaînes d’approvisionnement en collaborant avec des partenaires internationaux ( la RDC qui détient la plupart de ces minerais devrait être un partenaire stratégique privilégié) et à améliorer les marchés internationaux pour les rendre plus réactifs, transparents et responsables. Encore une fois, la RDC devrait être un partenaire bénéficiant de cela. C’est pourquoi nous insistons sur la transformation de nos matières premières critiques avant leur exportation.
Et la diaspora ?
Notre diaspora m’a tout simplement émerveillé. C’est l’un des motifs de ma fierté depuis que je suis ici. Je découvre des congolais battants qui travaillent dur pour leurs familles au Royaume-Uni et en RDC. Il suffit de penser aux transferts financiers qu’ils effectuent régulièrement au pays pour les mariages, funérailles, soins de santé ou l’éducation. Il y a aussi des associations, des ONGs des congolais résidant ici qui mènent des actives de développement communautaire en RDC. Je trouve des professionnels congolais dans tous les secteurs en Grande Bretagne : des professeurs d’universités, des enseignants du secondaire et du primaire, des spécialistes de l’encadrement des enfants ayant des besoins spéciaux, des chauffeurs de taxi, des cadres des banques, des chefs cuisiniers dans des restaurants cinq étoiles, des entrepreneurs dans l’industrie du loisir, des hommes et femmes d’affaires, des managers dans le Système National de Santé, des hommes de Dieu, et je me dis » bendela ekweya te « . Quand je vois cette jeune congolaise de 15 ans qui lit les écritures dans un lingala meilleur que le mien ou cette autre qui me demande de lui parler en lingala parce que son français n’est pas bon, alors que les deux n’ont jamais été au Congo, je me dis » mboka na biso eza makasi « .
Il y a ici une association d’ingénieurs congolais formés au Royaume-Uni. Des centaines des jeunes intégrés dans la structure économique ici et qui ont des projets et activités en RDC. Il y a aussi une organisation appelée Dynamique Congolaise au Royaume -Uni qui regroupe des professionnels de divers domaines, établis ici et qui veulent contribuer dans différents piliers de la vie de notre pays. Il y a même un Club des écrivains Congolais au Royaume-Uni qui a déjà publié des nombreux ouvrages.
Il y a tous ces jeunes britanniques de la troisième ou peut être quatrième génération qui sont nés ici des parents et grands parents congolais, qui ont grandi ici , qui ont fait leurs études universitaires ici, qui sont des jeunes professionnels ici et n’ont jamais été en RDC ou y ont été une seule fois, et qui ont envie de RDC, envie de contribuer au développement de la RDC. Cela me touche profondément. Mieux, je veux et vais travailler avec eux pour les aider à apporter leur contribution à la RDC.
Et il y a toutes ces organisations religieuses. J’étais surpris d’apprendre par exemple qu’il y avait des centaines d’églises de réveil congolaises en Grande Bretagne. Ces églises jouent un rôle insigne dans notre communauté.
Notre communauté ?
Oui, certains membres de notre communauté ont des problèmes d’intégration dans le système britannique, y compris même des problèmes de langue. Il y a des structures animées par des congolais qui essaient de leur faciliter la tâche, pour la langue, l’informatique, des démarches d’immigration.. Par exemple il y a des mamans congolaises du troisième âge qui essaient de se mettre à l’Anglais et qui ont besoin d’aide.
Il y a eu il y a quelques années des problèmes de petite criminalité dans la jeunesse congolaise, mais la situation s’est sensiblement améliorée. Plusieurs jeunes de la troisième génération terminent leurs études universitaires ou professionnelles, créent des entreprises. J’en ai rencontré quelques uns qui sont dans des niches professionnelles spécialisées , telles la haute couture ou la bijouterie, ou la communication .
Quelles sont vos priorités ?
Mes priorités sont celles de la politique étrangère de notre pays, clairement articulées dans la vision du Président de la République et les orientations du Vice Premier Ministre. Il y a d’abord les intérêts politiques de mon pays pour lesquels le soutien du Royaume-Uni dans toutes les instances internationales est important. Les questions de souveraineté, d’intégrité territoriale, par exemple. Il y a ensuite la diplomatie économique. Le commerce entre nos deux pays doit s’améliorer. Les investissements aussi. Par exemple, le Royaume-Uni vient de publier sa stratégie décennale sur les minerais stratégiques. Ils ne peuvent pas l’operationnaliser sans la RDC. A nous de jouer pour en tirer profit aussi. Il y a aussi la diplomatie culturelle. Je veux que la RDC soit mieux connue par l’Anglais moyen, dans un narratif nouveau. C’est la diplomatie des peuples. Et je veux travailler avec la diaspora congolaise pour faciliter sa réinsertion et contribution au pays, mais aussi comme groupe de pression pour les intérêts de la RDC au Royaume-Uni. C’est le fameux soft power de la RDC dont nous devons redorer le blason. Je veux aussi améliorer les relations entre l’Ambassade et la communauté. Que nos compatriotes sentent que l’Ambassade, c’est la maison de la RDC, donc la maison des congolais, où ils sont accueillis avec humanisme et où leurs problèmes sont traités avec bienveillance, célérité et professionnalisme.
La relation de l’Ambassade avec la Communauté congolaise est primordiale. Et nous allons y travailler sans relâche. La semaine dernière une délégation de six jeunes irlandais d’origine congolaise est venue à l’Ambassade pour se présenter et discuter avec nous des modalités d’une meilleure collaboration.
Quelle impression cela vous fait-il d’être appelé Excellence maintenant ?
( sourire). En vérité, c’est un rappel constant de la lourde responsabilité qui est mienne de toujours rechercher l’excellence, de toujours donner le meilleur de moi-même pour mon pays. Mais pourquoi dites-vous » maintenant » ? Cela fait des décennies que je suis appelé Excellence, en dehors de la RDC, ayant été Chef de Mission diplomatique pour le compte des Nations Unies au Cap Vert, Mozambique, Cote d’Ivoire, Guinée, Benin, Barbade, etc.
Quelles sont les perspectives d’avenir ?
Les perspectives d’avenir sont très bonnes. Nous allons bâtir sur les graines plantées ces dernières années et les fructifier. La stratégie de développement du Royaume-Uni est au cœur de la politique étrangère de ce pays. Leurs priorités sont bien définies : des investissements honnêtes et fiables, l’autonomisation des femmes, le travail humanitaire, et la lutte contre le changement climatique . Nos priorités sont bien connues. Il s’agit maintenant de renforcer la convergence entre les agendas de nos deux pays pour aboutir à des projets concrets gagnant gagnant. Le temps n’est plus aux discours et aux plans , mais à l’exécution d’actions concrètes qui changent la vie quotidienne de nos peuples. Déjà cette année, plus précisément le mois prochain, se tiendront deux rencontres, l’une portant sur la transition énergétique et les investissements et l’autre sur le commerce et les investissements. Des autorités politiques congolaises et des entrepreneurs congolais y prendront part. Ces deux rencontres constituent des jalons importants dans la marche vers le Sommet Royaume-Uni -Afrique qui aura lieu à Londres en Avril 2024. Propos receuillies par Didier KEBONGO et Dina